Interview sur les rêves : Sébastien Laurier
Et voilà le tout premier article de ce blog ! Une interview sur les rêves posée à Sébastien Laurier de la Cie L’espèce fabulatrice.
Pourquoi une interview sur les rêves ici ? Parce que devenir digital nomad était un de mes rêves, ça m’intéresse d’en savoir plus sur les rêves de celles et ceux qui m’inspirent…et de vous le faire partager !
Pourquoi Sébastien Laurier ? Parce que les rêves sont au cœur de ses investigations…
La citation « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité », qu’est-ce que ça t’évoque ?
Saint-Exupéry, le grand Antoine Saint-Exupéry… et c’est ma maxime de vie en fait ! C’est vraiment profondément ma maxime de vie. Depuis quand ? Je ne sais plus… Je l’ai mis en gros dans la chambre de ma fille, sur une carte postale. J’essaie vraiment de faire ça. En conscience, partir de mes rêves, et d’essayer de les inscrire dans la réalité. C’est ce que je fais, c’est ce que j’essaie de faire de ma vie.
Je mène des quêtes, des enquêtes, qui sont totalement improbables, décalées, absurdes et ça devient des objets artistiques : des livres, des spectacles, des soirées comme « La Nuit des rêves » à Chahuts… Au départ, je suis comédien, je fais de la mise en scène aussi mais je deviens de plus en plus auteur. Inscrire les choses dans la réalité, c’est aussi en vivre. Concrètement, comment j’arrive à vivre de ce que j’aime faire. Si ça me rend très riche, c’est super. Si ça me permet tout juste de payer les factures, je prends aussi.
Mais le fait est que je vis de suivre mes rêves !
Tes rêves d’enfant, c’était quoi ?
Mes rêves de jour ou de nuit ?
Les 2 ! ;o)
Comme beaucoup de petits garçons de ma génération, je voulais être Michel Platini…ou torero. Je viens du Sud-Ouest, j’ai été élevé en regardant les corridas.
Les rêves que je faisais la nuit, enfin un qui relève plus des cauchemars et des angoisses, c’était d’être dans une pièce et d’avoir l’eau qui monte, l’eau qui monte, l’eau qui monte.
Comparé à maintenant, est-ce que tu regrettes de n’être ni Michel Platini ni torero ?
Il m’a fallu longtemps avant d’accepter que je ne serai jamais Michel Platini. Je crois au fait de suivre le chemin, d’être en chemin… Le but est le chemin. L’important c’est le voyage, le chemin qu’on parcourt. Donc je suis très content de n’être devenu ni Michel Platini ni torero, et de suivre mon propre petit sentier. Bien sûr que je ne regrette pas !
Est-ce que tu as un conseil à donner, pour faire de sa vie un rêve ?
C’est compliqué… parce que je viens de I’écoute. J’ai démarré dans la vie active comme écoutant -répondant à Sida Infos Services. J’ai appris l’écoute de Carl Rogers, qui est une écoute bienveillante, empathique. On nous parlait de neutralité bienveillante, basée sur la relation d’aide, et dans la relation d’aide, on ne donne jamais de conseil.
On part du principe que la personne a ses propres ressources en elle. Les voies et les réponses sont en elle. Donc dire un conseil, et pour moi c’est la limite de tout ce qui est bouquin de développement personnel et autres, je suis assez rétif à ça… Quand on me donne un conseil, souvent, je ne demande pas ça mais juste à être écouté. Ecoute-moi et après je ferais le tri. Donc donner un conseil pour suivre ses rêves, euh…
En tout cas, ce que je peux constater pour moi, c’est qu’il y a quand même quelque chose de l’ordre d’y croire. Il y a un acte de foi, de croire profondément que ce que à quoi l’on rêve est réalisable et possible. Et aussi, se débarrasser de l’idée de résultat. Croire que c’est possible, s’engager bien sûr. A un moment donné, il faut mettre en œuvre, faire du mieux qu’on peut.
Et aussi ce que je constate, c’est qu’il y a un cheminement pour trouver nos rêves : qu’est-ce que je veux ? Peut-être que ce que je veux, c’est d’avoir une grande maison avec piscine, et de pouvoir faire des barbecues avec mes amis tous les week-ends, avec une belle bagnole, et stop. Et c’est ok, y a pas de jugement de valeur, y a pas besoin. Je suis animé par autre chose. Et vouloir gagner beaucoup d’argent en jouant au football, c’est aussi ok. Euh mais pas vouloir gagner beaucoup d’argent en vendant du poison, ça c’est pas ok.
Pour revenir sur l’idée d’un conseil, moi, je fais confiance en fait. Même si c’est un combat de tous les jours, un combat ordinaire. Parce que tous les jours, la réalité renvoie à un truc : non, c’est pas possible. On est confronté à des difficultés, des réalités, etc… Mais, je fais confiance.
Ta journée idéale, qu’est-ce que c’est ?
Ma journée idéale, c’est me réveiller le matin, savoir pourquoi je me lève et être content. Aujourd’hui, il va y avoir ça, ça et ça. Que ça soit sous la pluie, dans le froid, le soleil… C’est Sénèque qui disait je crois « La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe mais c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » En fait, c’est être prêt à danser ! La journée idéale, c’est : j’ai envie de danser et je sais pourquoi je vais danser. Que ce soit pour des grands projets ou que ça soit parce que je vais préparer à manger pour le soir, ou juste faire une balade en vélo. Des choses qui font plaisir, qui font du sens, qui résonne…
Mes journées sont très différentes, comme je fais des choses différents, différents rêves et projets. Par exemple, là, j’écris un bouquin qui s’appelle « Le rêve d’un Coin-Coin », qui est l’histoire d’un récit de canards en plastique au Groenland où je suis allé l’hiver dernier, 7 ans après une première quête.
En même temps, j’adapte un autre bouquin que j’ai écrit en bande dessinée. Je suis scénariste de bande dessinée, donc c’est un autre cerveau, c’est une autre chose… Après, je suis parti sur la piste des rêves, et là je suis très concrètement en train de répondre à un appel à projets pour aller rêver dans des territoires, dans des parcs naturels régionaux en Auvergne et en Rhöne-Alpes. Donc qui est là aussi une sorte de commande. J’essaie de saisir des opportunités… Je vois passer, je me dis « ah ben tiens ! ». Je ne suis pas du tout un comédien qui répond à des auditions, je me place pas dans ces schémas. J’essaie de ne pas dépendre du désir des autres, ce qui est une grande difficulté dans le métier de comédien, mais de répondre à mon propre désir. Et des fois, c’est fatigant ! Parce que c’est aussi très agréable d’être au service. J’adore être au service des projets des autres.
Et mon rêve en fait, ma journée rêvée, est de pouvoir aller sur plusieurs projets. Dans la même journée, c’est compliqué. Je veux bien être papillon mais…. Enfin ce n’est pas compliqué, mais je ne suis pas assez organisé. Il vaut mieux que je fasse : dans une journée je m’occupe de ça, demain, ça sera ça… Par tranche, par semaine… On dit qu’il y a des auteurs, des écrivains, du mot, de la phrase, du paragraphe, du chapitre.
Donc moi c’est plutôt une semaine rêvée… Il me faut une semaine pour mettre tout, et là j’ai mon rêve.
Pourquoi tu t’es intéressé aux rêves ? Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser aux rêves ?
C’est quand je travaillais justement sur le monde inuit. Quand je mène des quêtes, je me documente beaucoup. J’avais lu un article d’un ethnologue qui parlait des inuits au Nunavut, dans la partie canadienne du monde inuit, qu’on appelait avant les eskimos. Le titre c’était « Le déclin d’une société à rêves ». Il disait qu’avant, la première chose que les gens faisaient le matin, c’était de se raconter les rêves de la nuit. Et en fait, beaucoup de sociétés faisaient ça. Les gens se lèvent et racontent leurs rêves : les enfants, les parents… Et le fait de partager, donnait, faisait sens pour l’individu et pour la communauté. Et aujourd’hui, avec la modernité, les gens ne partagent plus leurs rêves. Et certains disent que c’est pour ça, les anciens, les ethnologues, que les inuits ont tant de problèmes : un des taux de suicide les plus forts au monde, des problèmes d’addiction, d’alcoolisme, de violence, de dépression…
L’idée est que si on reste tout seul avec son rêve, si on ne le partage pas, le rêve disparaît, s’amenuise et on est tout seul dans son coin. Je ne sais pas si l’idée est vraie, si l’hypothèse est vraie, mais en tout cas, je trouve qu’elle résonne, et ça devient une métaphore aussi de nous, dans notre monde : que si on reste tout seul avec notre petit rêve, si on ne le partage pas, si on ne le met pas devant, on va moins bien.
Et donc c’est ça qui m’a fait partir sur la piste des rêves, ce que j’appelle la piste des rêves. Non non non, il faut qu’on partage nos rêves en fait ! Ceux qu’on fait la nuit mais aussi ceux qu’on fait le jour. Et cette idée-là, a trouvé des manifestations dans la réalité. Par exemple, j’ai mené pour l’Escale du Livre en 2017 des collectes de rêves avec un dessinateur de bande dessinée Jean-Denis Pendanx, auprès de plein de gens. Parce qu’on est tous égaux face aux rêves : qu’on ait 7 ans ou 77 ans, qu’on soit riche ou pauvre, qu’on soit allophone, francophone, qu’on soit dans un hôpital psychiatrique, qu’on soit soigné, soignant…
L’idée, c’est de faire ces collectes de rêves, de les anonymiser, parce que ça reste une parole très intime… Qu’est-ce qu’on est prêt chacun, à donner à la communauté. Avec l’idée que ce rêve serait transmis, serait dit ou serait affiché, serait exposé. Donc on a fait une exposition en texte, en images… et c’est devenu aussi une balade musicale, dans laquelle des musiciens nous amenaient à des endroits, et on lisait les textes. Donc ça, c’était une première inscription dans la réalité. C’est devenu aussi une nuit des rêves, je réponds à des appels à projets… Mais pour l’instant, c’est pas un spectacle de théâtre, je ne peux pas aller voir les théâtres et dire : « J’ai un projet sur les rêves. » En revanche, je sais que cette idée-là : de partager les rêves et voir comment ça résonne, c’est une idée que je trimballe et à laquelle j’essaie de donner des inscriptions dans la réalité… Des objets, des process (euh process c’est un vilain mot !)… C’est ça qui fait de ma vie un rêve, et de mon rêve une réalité.
Est-ce que tes rêves de la nuit t’aident dans tes journées ?
Oh oui oui oui, bien sûr. Parce que l’idée, c’est de mettre les rêves devant, sur la table, pour les sortir de la psychanalyse et du bureau du psy. La psychanalyse, c’est super, j’ai pas de souci avec ça, mais elle s’est emparée du rêve. Et plutôt que de voir ce qui dans mon rêve parle de mon passé, de mes névroses, voir comment ces parts de nous, inconscientes, qui nous parlent la nuit. Parce que c’est nous-mêmes qui nous parlons dans la nuit. C’est une part de nous qui nous envoie un message, qui nous envoie comme une lettre, en sons, en odeurs, en images, en situations, en personnages… C’est une part de nous qui nous parle. Et pourquoi on ne l’écouterait pas celle-là ? Pourquoi elle ne serait pas pleine de ressources ? Ne pas la voir comme un problème, mais au contraire comme une ressource.
Et donc je fais attention à mes rêves. Pour faire ça concrètement, il faut les noter, essayer de s’en rappeler. On rêve tous, toutes les nuits, on rêve tous. Si on n’en prend pas, si on n’y accorde pas d’attention, on ne s’en rappelle pas, et on dit : « je ne rêve pas ». Mais on rêve. On passe 7 ans de notre vie en moyenne à rêver. Sur une nuit de 8h, on doit rêver à peu près 1h30. C’est ce que disent les scientifiques, c’est pas moi qui l’ai inventé.
J’essaie de les inscrire dans la réalité en les notant, pas forcément en les racontant à tout le monde… Et j’essaie de faire quelque chose pour eux. Après, ça dépend, parce que plus vous appelez quelque chose, plus ça vient. C’est la loi d’attraction. Donc des fois, y a des moments, où je demande : « attendez non non les gars, on se calme là, c’est pas le moment ». Y a une habitude qui se fait…Y a ce qu’on peut appeler des grands rêves, des rêves plus communs… On peut faire des cartographies de nos rêves.
D’ailleurs, sur l’appel à projets auquel je vais répondre, je vais travailler avec un géographe, qui lui travaille beaucoup sur les lieux : les lieux où l’on rêve, et les lieux dont on rêve. Est-ce qu’on rêve différemment en fonction de l’endroit où l’on dort, et où on rêve ? Est-ce qu’on rêve de l’endroit d’où on rêve, de quel endroit ? On va essayer de travailler ensemble et partir dans la nature. Lui établir une cartographie, et moi ce que je raconte, c’est des histoires.
Donc bien sûr, les rêves de nuit, j’y suis très attentif.
Est-ce que tu aurais un mot de conclusion ? Ou une question que je ne t’ai pas posée et à laquelle tu aurais aimé répondre ?
C’est compliqué, j’aime pas conclure parce que j’ai toujours l’impression que tout est en chemin, et tout est en mouvement. La suite au prochaine épisode, c’est un peu ça en fait finalement ! Le présent est en mouvement. En changeant le présent, on change le passé, on change le futur… Y a pas de conclusion en fait ! Ça reste ouvert, ce qui est vertigineux, ce qui peut faire peur… Ne pas se laisser vaincre par la peur. Regarder la peur, parce que c’est notre compagne, mais on va pas la laisser nous mener…. Bien sûr que non ! Y pas moyen.